Durant mon enfance à Casablanca, je me suis toujours demandé pourquoi je n’entendais pas beaucoup parler des homosexuel·les. Elles n’existaient pas… ou plutôt ne devaient pas exister. Les médias présentaient les homosexuel·les comme des personnes diaboliques. Le mot « trans » n’existait pas encore. Il n’existait pas de mots en arabe pour désigner les personnes queer jusqu’à il y a quelques années. On n’entendait que des insultes comme shaz (شَاذّ) en Jordanie, zamel (زَمِل) au Maroc, louti (لُوطِيّ) au Liban, associant l’homosexualité à des corps pénétrés, passifs, donc pervertis. Or, les mots ont un impact et parfois, ils représentent un moyen de survie. Rendre son existence audible, visible, légitime dans l’ordre du monde est une question fondamentale. C’est pourquoi se revendiquer « queer », « pédé », « zamel » opère un retournement du stigmate, une réappropriation de la parole nominative, qui détruit l’insulte pour mieux reconstruire l’identité. C’est le concept nietzschéen de la transvaluation du langage : les mots transmutent de leur valeur négative en une valeur éclatante de positivité et de fierté.
La réévaluation d’un terme comme “queer” suggère que le discours peut être “renvoyé” à son auteur sous une forme différente, qu’il peut être cité à l’encontre de ses buts premiers, accomplissant ainsi un renversement de ses effets. […] C’est la possibilité politique de retravailler la force des actes de discours pour la faire jouer contre la force de l’injure”.
Le pouvoir des mots (2008), Judith Butler
Les victoires arrachées par les luttes LGBTQIA+ dans le monde ont fait réagir les conservateurs et bigots criant à la propagation du pouvoir d’influence d’un lobby. Ces derniers oublient que ces maigres victoires ne sont que des soubresauts hors de la dystopie qu’ils ont créée contre les personnes queer. Ce qui stresse les hétéropatriarches, ce n’est pas tant que les personnes queer existent, mais qu’elles puissent augmenter le volume de leur existence. Tout cri de joie les persécute, comme si c’était un outrage à l’ordre de genre public. C’est pour ça qu’il faut constamment tenir tête à ceux qui veulent interdire. Interdire, c’est ne pas pouvoir dire, mais c’est aussi dire entre les lignes. Dire l’interdit, c’est advenir comme sujet en dehors de la norme. Pour bell hooks, « le langage est aussi un lieu de combat ». Dynamiter, sinon dynamiser le langage sclérosé de l’académicien pour inclure, métisser, hybrider est une entreprise émancipatoire. L’écriture inclusive permet de penser le réel pour toustes. Les lettres de l’acronyme donnent un nom à l’innommable.
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